«Le cirque induit, outre la capture et la captivité, un dressage dont le but est de mettre en scène une gestuelle contre nature que l'animal doit cependant paraître effectuer naturellement. Telle est la conversion que réalise une autorité qui extirpe à l'animal des ressources inconnues, le façonne, l'élabore... L'effet comique est suscité par une dérive du comportement, par le fait que l'on ne reconnaît plus vraiment un animal dans ce qu'il a de propre, et qu'il semble cependant se prêter au jeu de cette réduction souvent mutilante... L'enfermement de l'animal de zoo, le déguisement de l'animal de cirque, nous renvoient les images d'un double à la fois amoindri et caricaturé. Grâce au dressage est exhibée une parodie de gestes spécifiquement humains. Cette impossible singerie a pour manifestation matérielle une proximité mimétique, et pour volonté de signification une distance infinie entre l'homme et l'animal. Parce que cette imitation est le produit d'un artifice, elle n'est que l'asymptote d'une parenté feinte qui vise avant tout à provoquer un rire convulsif. Le fait que ce spectacle soit en priorité destiné aux enfants a quelque chose de pervers s'il s'agit, même obscurément, de leur apprendre à reléguer l'animal dans les sphères d'une pseudo-étrangeté de le voir, dérisoire et pathétique, tendu vers une humanité à laquelle il n'atteindra jamais. La sur-animalité équivaut ici à la sous-animalité.»
F. Burgat, Animal, mon prochain