LES ANIMAUX NE SONT PAS DES CHOSES !

Les animaux ne sont pas des choses ! Comme nous, ils veulent vivre en paix

jeudi, septembre 21, 2006

Chevaux des mines

.... «C'était Bataille, le doyen de la mine, un cheval blanc qui avait dix ans de fond. Depuis dix ans, il vivait dans ce trou, occupant le même coin de l'écurie, faisant la même tâche le long des galeries noires, sans avoir jamais revu le jour. Très gras, le poil luisant, l'air bonhomme, il semblait y couler une existence de sage, à l'abri des malheurs de là-haut. Du reste, dans les ténèbres, il était devenu d'une grande malignité. La voie où il travaillait avait fini par lui être si familière, qu'il poussait de la tête les portes d'aérage, et qu'il se baissait, afin de ne pas se cogner, aux endroits trop bas. Sans doute aussi il comptait ses tours, car lorsqu'il avait fait le nombre réglementaire de voyages, il refusait d'en recommencer un autre, on devait le reconduire à sa mangeoire. Maintenant, l'âge venait, ses yeux de chat se voilaient parfois d'une mélancolie. Peut-être revoyait-il vaguement, au fond de ses rêvasseries obscures, le moulin où il était né, près de Marchiennes, un moulin planté sur le bord de la Scarpe, entouré de larges verdures, toujours éventé par le vent. Quelque chose brûlait en lair, une lampe énorme, dont le souvenir exact échappait à sa mémoire de bête. Et il restait la tête basse, tremblant sur ses vieux pieds, faisant d'inutiles efforts pour se rappeler le soleil... Cependant, les manoeuvres continuaient dans le puits, le marteau des signaux avait tapé quatre coups, on descendait le cheval; et c'était toujours une émotion, car il arrivait parfois que la bête, saisie d'une telle épouvante, débarquait morte. En haut, lié dans un filet, il se débattait éperdument; puis, dès qu'il sentait le sol manquer sous lui, il restait comme pétrifié, il disparaissait dans un frémissement de la peau, l'oeil agrandi et fixe. Celui-ci étant trop gros pour passer entre les guides, on avait dû, en l'accrochant au-dessus de la cage, lui rabattre et lui attacher la tête sur le flanc. La descente dura près de trois minutes, on ralentissait la machine par précaution. Aussi, en bas l'émotion grandissait-elle. Quoi donc? Est-ce qu'on allait le laisser en route, pendu dans le noir? Enfin, il parut, avec son immobilité de pierre, son oeil fixe, dilaté de terreur. C'était un cheval bai, de trois ans à peine, nommé Trompette. -Attention! criait le père Mouque, chargé de le recevoir. Amenez-le, ne le détachez pas encore. Bientôt, Trompette fut couché sur les dalles de fonte, comme une masse. Il ne bougeait toujours pas, il semblait dans le cauchemar de ce trou obscur, infini, de cette salle profonde, retentissante de vacarme. On commençait à le délier, lorsque Bataille, dételé depuis un instant, s'approcha, allongea le cou pour flairer ce compagnon, qui tombait ainsi de la terre. Les ouvriers élargirent le cercle en plaisantant. Eh bien, quelle bonne odeur lui trouvait-il? Mais Bataille s'animait, sourd aux moqueries. Il lui trouvait sans doute une bonne odeur du grand air, l'odeur oubliée du soleil dans les herbes. Et il éclata tout à coup d'un hennissement sonore, d'une musique d'allégresse, où il semblait y avoir l'attendrissement d'un sanglot. C'était la bienvenue, la joie de ces choses anciennes dont une bouffée lui arrivait, la mélancolie de ce prisionnier de plus qui ne remonterait que mort. » Émile Zola

Les boucheries

(...) «Bientôt l'homme des champs amène la victime; Aux cris de l'animal, on s'empresse, on s'anime: La mère avec transports rôde de tous côtés, Polit la table ronde et le vase argenté, Tandis qu'en son fauteuil la bonne aïeule assise, Prête l'oreille au bruit du couteau qui s'aiguise, Et sourit aux enfants qui célébrant leur jeu, D'un bûcher mal construit alimentent le feu. Dix jeunes marcassins, au groin assez agile, S'avancent, sont chassés, reviennent à la file, Et par les sons aigus de leur gémissement, Semblent se lamenter du sort de leur parent. Soudain le villageois frappe la bête impure; Le sang, à bouillons noirs, ruisselle de sa hure, Découle dans le vase, et suivant les apprêts, Sous des doigts ménagers forme d'excellents mets, Qui mêlés avec art rehaussent la gogaille. La victime s'étend sur le bûcher de paille, Sur son corps l'eau bouillante est versée à grands seaux; Les plus légères mains font glisser les couteaux Qui du grognon défunt enlèvent la dépouille; (...) Joseph Mermet (1775-1828)